Six heures du matin, le bitume vibre sous les foulées de ceux qui n’ont rien avalé depuis la veille, pas un croissant, pas un fruit, pas même une gorgée de café. Loin de l’ascèse gratuite, cette pratique fascine autant qu’elle divise. D’un côté, certains coureurs racontent ce sentiment de légèreté, cette impression que le corps brûle mieux ses graisses lorsqu’on part ventre creux. De l’autre, des athlètes avertissent : l’énergie s’effondre parfois plus vite, la récupération traîne, la séance laisse un goût d’inachevé.
Les recherches récentes le confirment : tout dépend du coureur, de son expérience et de ses objectifs. Les conseils ne sont pas universels, car les réactions du corps varient, tout comme les enjeux de chacun. Les risques, eux, ne frappent pas tout le monde de la même façon, et méritent d’être décortiqués.
Courir à jeun : de quoi parle-t-on exactement ?
Courir à jeun, c’est choisir de s’élancer pour une session de course, ou toute autre activité d’endurance, sans rien avoir mangé depuis la veille. Généralement, cela signifie s’activer dès le réveil, alors que le corps sort d’une nuit sans apport énergétique. Les réserves de glycogène, carburant clé des muscles, sont déjà entamées par ce jeûne nocturne. Résultat : la session se déroule dans un contexte où le métabolisme doit s’adapter.
Au saut du lit, le stock de glycogène hépatique n’est plus à son maximum. Lorsqu’on part courir sans petit-déjeuner, les muscles puisent davantage dans les graisses pour trouver l’énergie nécessaire. Pour certains, c’est l’occasion de favoriser l’utilisation des lipides, notamment si l’on s’intéresse au jeûne intermittent ou à la gestion de la masse grasse.
Mais courir à jeun n’a rien d’une course effrénée sans filet. En pratique, cette stratégie s’applique surtout à des entraînements à allure modérée, sur des distances raisonnables. L’idée n’est pas de finir vidé, mais de stimuler certaines adaptations métaboliques, tout en préservant une part de glycogène pour éviter la panne sèche.
La recherche distingue d’ailleurs plusieurs manières de pratiquer :
- Jeûne court : il s’agit simplement de partir courir le matin sans avoir pris de petit-déjeuner. Cette option reste la plus répandue chez les coureurs amateurs.
- Jeûne prolongé : ici, le temps sans apport alimentaire dépasse les 12 heures. On la retrouve dans certains protocoles de jeûne intermittent, mais elle s’adresse à un public averti.
Au final, le sport à jeun s’inscrit dans un cadre précis : tout repose sur le choix du moment, la gestion des réserves énergétiques et une adaptation intelligente de l’intensité. Chacun doit ajuster le curseur en fonction de sa propre physiologie.
Quels bénéfices et quels risques pour la santé et la performance ?
Le principal argument avancé par les défenseurs de la course à jeun : une meilleure mobilisation des graisses. Le matin, avant d’avoir mangé, l’organisme se tourne spontanément vers ses réserves lipidiques pour alimenter l’effort. C’est pour cette raison que la pratique attire celles et ceux qui visent une diminution de la masse grasse ou un changement de silhouette. Les études confirment d’ailleurs que les séances d’endurance menées à intensité modérée favorisent cette oxydation des lipides.
Mais tout n’est pas rose pour autant. Il y a un revers à la médaille. Le risque de fringale guette, tout comme celui de l’hypoglycémie. Certains finissent la séance avec la tête qui tourne, les jambes coupées, une vigilance en berne. La performance aussi peut s’en trouver affectée, en particulier lors d’efforts longs ou soutenus : sans assez de glycogène, impossible d’accélérer ou de soutenir un haut niveau d’intensité. Les novices ou ceux qui n’ont pas l’habitude de courir à jeun sont encore plus exposés à ces effets secondaires.
Le choix se pose différemment selon les objectifs et le type d’entraînement :
- Pour une sortie d’endurance courte ou modérée, courir à jeun peut renforcer la capacité à utiliser les graisses comme carburant.
- Pour des séances longues ou intenses, il vaut mieux avoir rechargé ses réserves d’énergie, sous peine de voir le niveau chuter nettement.
Attention, la perte de poids n’est jamais automatique : sur la durée, le corps ajuste ses besoins, et l’aiguille de la balance n’obéit pas toujours aussi docilement qu’on le souhaiterait. Autre point de vigilance : pratiquer trop souvent à jeun, sans adaptation, peut fatiguer et altérer la relation à la nourriture. Mieux vaut rester à l’écoute de ses sensations.
Nutrition, moment de la journée : comment adapter la pratique à ses besoins ?
Pour tirer parti de la course à jeun sans mettre sa santé en péril, quelques ajustements s’imposent, tant sur le plan nutritionnel que dans le choix du bon moment pour s’entraîner. S’élancer avant le petit-déjeuner, c’est miser sur des réserves de glycogène diminuées, ce qui demande d’être attentif à sa réhydratation. La veille, un dîner riche en glucides, mais facile à digérer, prépare le terrain. Inutile de forcer sur les matières grasses ou sur les fibres.
La stratégie dépend ensuite de la durée et de l’intensité. Pour une session de moins d’une heure, à faible allure, la plupart des sportifs aguerris gèrent sans difficulté. Mais si la séance s’annonce plus longue ou exige un effort cardiaque élevé, il vaut mieux prévoir un petit en-cas avant de partir : une banane, une compote, voire une boisson légèrement sucrée. Ce geste limite la fatigue en fin de parcours tout en maintenant une bonne mobilisation des graisses.
Après l’effort, la récupération est la clef. Boire rapidement, puis consommer un petit-déjeuner associant glucides et protéines permet de reconstituer les stocks et d’aider les muscles à se réparer. Quant à la fréquence des séances à jeun, pas question de multiplier les expériences sans progression : une à deux fois par semaine, progressivement intégrées, suffisent à stimuler les adaptations sans risquer de s’épuiser. Cette approche protège du surmenage et maximise les bénéfices sur la santé comme sur la performance.
Au bout du compte, courir à jeun n’est ni un remède miracle, ni une pratique à diaboliser. Le juste équilibre se trouve sur la ligne de départ, au croisement de l’écoute de soi et de la connaissance de ses propres limites. Et si la première foulée du matin, ventre vide, était avant tout une invitation à redécouvrir son corps autrement ?